Donner du sens politique à l’activité économique,

L’économie sociale et solidaire, une manière de repenser le quoi, le pourquoi et le comment de la production économique.

Jean Huet, Sylvie Mayer, Luc Mboumba*

L’économie sociale et solidaire (ESS) est reconnue comme une économie hétérogène composée d’associations, de coopératives, de mutuelles, de collectifs locaux ou d’initiatives locales qui ont en commun de redonner une utilité sociale à la production économique et d’avoir un mode de production rendant le salarié, l’usager, le producteur, le patient… acteurs/actrices de la société.
Ces regroupements peuvent agir dans la santé, l’alimentation, la consommation, les transports, l’énergie… ils posent tous la question de la propriété collective des outils de production et donc de la répartition des richesses dégagées en commun.
Dans leur grande diversité, tous les acteurs de l’ESS ont pour origine la volonté de redonner un sens politique à l’activité économique et d’articuler de manière cohérente le pourquoi nous produisons  avec le comment nous le faisons . Autrement dit, en partant du projet de société qui structure l’activité économique, l’ESS s’incarne dans des dynamiques organisationnelles transformatrices qui propulsent la démocratie au cœur du système productif. Elle participe à l’évolution des notions de propriété, d’entreprise, de valeur, en prise directe avec la réalité. En cela, elle modifie le résultat de la production, son influence territoriale et sociétale.

 

Produire en commun

Cette dimension collective est indissociable de l’ESS. Des personnes mettent en commun leurs compétences, leurs savoirs et leurs réseaux parce qu’ils ont compris leur force commune et acceptent de le faire dans le respect de la place de chacun par le principe « Une personne = une voix ». Le parcours des Pilpa devenus la Scop Belle Aude, les Fralib devenus ScopTi tout comme l’entreprise Macoretz (constructions écologiques) montrent que le processus de construction ou de reprise de l’entreprise les ont conduit à introduire de nouvelles pratiques plus démocratiques et plus écologiques dans leur projet. L’entre­pri­se n’est plus seulement un lieu de production économique, mais de­vient un espace de production sociale en adéquation avec son environnement. Cette cohérence d’ensemble entre le pourquoi, le comment et le quoi est féconde pour faire progresser un projet de société réellement communiste.

 

Produire avec du sens

Rappelons l’Article 1 de la Constitution du 24 juin 1793 : « Le but de la société est le bonheur commun. - Le gouvernement est institué pour garantir à l’homme la puissance de ses droits naturels et imprescriptibles. » En quoi l’économie sociale et solidaire participe-t-elle à cette aspiration au bonheur commun ? Dans sa capacité transformatrice, l’ESS participe à remettre du politique dans l’économie. Elle induit un changement de paradigme économique pour :

- mettre au centre de l’organisation productive l’humain et la démocratie (la personne en tant que citoyen économique et le collectif en tant qu’association productrice) ;
- élargir la notion de propriété par la mise en lumière du droit « naturel » de toute personne affectée par l’activité de l’entreprise (salariés, producteurs, usagers, élus territoriaux…) ;
- incarner par des dynamiques concrètes une utopie de transformation de l’économie vers un système démocratique de production qui vise à produire autrement, à mesurer la valeur à l’aune de sa contribution au projet sociétal : la poursuite du bonheur commun.

 

Au stade de cette réflexion, nous ne cherchons pas à faire croire que l’ESS dans son ensemble est totalement vertueuse, mais sommes persuadés que les formes proposées possèdent en elles la capacité de participer à une transformation de l’économie en favorisant la socialisation des outils de production.

 

Quelle différence entre une banque capitaliste et une banque coopérative ?

La propriété ! Des actionnaires aux sociétaires, d’un petit groupe de personne à un collectif citoyen large mais jusqu’à présent jamais réellement mobilisé sur l’appropriation des choix des banques coopératives comme le Crédit agricole, le Crédit mutuel…
Quelle différence entre la grande distribution et la distribution coopérative ?

La répartition de la richesse ! Qu’ils s’agissent de produits locaux, de BIO, les échanges entre producteurs et consommateurs se font sur la base d’un contrat équitable, négligeant de fait la rémunération des actionnaires, comme chez Artisans du Monde, Biocoop, les AMAP

 

L’ESS conteste la seule valeur monétaire de l’échange comme référentiel pour promouvoir la valeur d’usage, la priorité du travail sur le capital et valoriser le bénévolat et le don de temps.
L’ESS permet de montrer que l’entreprise n’est pas nécessairement aux mains de patrons, eux-mêmes au service d’actionnaires.
Au cœur de l’ESS, dans sa dimension combattante, se niche une réelle convergence avec le projet communiste de société :

« Ceux des membres des classes dominantes qui sont assez intelligents pour comprendre l’impossibilité de perpétuer le système actuel – et ils sont nombreux – sont devenus les apôtres importuns et bruyants de la production coopérative. Mais si la production coopérative ne doit pas rester un leurre et un piège, si elle doit évincer le système capitaliste, si l’ensemble des associations coopératives doit régler la production nationale selon un plan commun, la prenant ainsi sous leur propre direction et mettant fin à l’anarchie constante et aux convulsions périodiques qui sont le destin inéluctable de la production capitaliste, que serait-ce, Messieurs, sinon du communisme, du très « possible » communisme ? »

(Karl Marx, La guerre Civile en France,

traduit par P. Meier, P. Angrand et E. Bottigelli, Editions sociales, 1953).

 

*Jean Huet et Sylvie Mayer

sont co-animateurs du groupe Économie sociale et solidaire du Conseil national du PCF.
Luc Mboumba  est conseiller municipal (PCF) de Créteil (Val-de-Marne).

La Revue du projet, n° 56, avril 2016